Saga, Tonino Benacquista, Folio

Saga @Avisculturel

Quand j’étais plus jeune mes sœurs s’étaient emballées sur ce roman « Saga ». Je n’avais pour ma part pas été tentée plus que ça et je n’avais pas suivi leur conseil (pourtant avisé!).

Quelques années plus tard j’ai gagné via un jeu organisé par mon université le livre « Malavita » du même auteur, sur un mafieux et sa famille qui tente d’échapper à leur passé. J’avais adoré (et le film aussi d’ailleurs : bande annonce par ici) J’avais également lu de Tonino Benacquista « Homo Erectus » un livre très étrange mais qui m’avait également beaucoup plus.

Il devenait évident que j’accrochais avec cet auteur et je n’avais pourtant pas encore lu son livre le plus connu, Grand Prix des lectrices de ELLE en 1998. Heureusement pendant les vacances, j’ai enfin rattrapé cette faute grave en m’y plongeant avec régal…

 

Ce qu’en dit l’éditeur :

Nous étions quatre : Louis avait usé sa vie à Cinecittà, Jérôme voulait conquérir Hollywood, Mathilde avait écrit en vain trente-deux romans d’amour, et moi, Marco, j’aurais fait n’importe quoi – mais n’importe quoi ! – pour devenir scénariste. Même écrire un feuilleton que personne ne verrait jamais. « Saga », c’était le titre.

 

Ce qu’Elle en dit :

Définitivement, je suis vraiment fan du travail de cet auteur.

Dès le début du livre, le ton est donné : « Faîtes n’importe quoi » ordonne aux quatre héros le producteur de « Saga », juste pressé de remplir les quotas obligatoires de diffusion de réalisations françaises sur sa chaîne pour éviter de se faire remonter les bretelles par les autorités compétentes. Et les quatre scénaristes embauchés pour ce job improbable, tous des cabossés de la vie, des loosers magnifiques, vont s’en donner à cœur joie !
Je pensais qu’on suivrait surtout l’histoire de la vraie « Saga » mais au final l’histoire se concentre vraiment sur le vécu personnel des quatre personnages, comment ils en nourrissent la « Saga » autant qu’elle l’en nourrit. Le mélange constant entre la fiction qu’ils écrivent et la réalité qu’ils vivent donne une drôle d’impression de mise en abîme : et, tout comme les quatre scénaristes ont parfois l’impression de jouer à Dieu en faisant faire ce que bon leur semble aux personnages de la « Saga », en tant que lecteur nous avons également l’impression de les regarder évoluer d’en haut.

Marco, Louis, Jérôme et Mathilde sont tous les quatre très attachants: ils ont tous connus l’échec dans leur vie professionnelle et personnelle et, avec « Saga » tentent le tout pour le tout pour enfin tenter de sortir la tête de l’eau et de retrouver leur estime perdue (mon petit regret tient juste dans le fait que le narrateur, Marco, est des quatre héros celui avec qui j’ai le moins accroché et j’aurais parfois préféré me passer de ses états d’âmes). Malgré les épreuves difficiles que ces héros traversent, le ton du livre est loin d’être morose, bien au contraire : on sourit beaucoup, on rit aussi souvent grâce à au ton délicieusement cynique de Tonino Benacquista.

Le début du livre est donc une suite de péripéties des quatre comparses pour donner vie à la « Saga » et reprendre leur destin en main. Peu à peu, leur partenariat paye et la « Saga » attire de plus en plus de téléspectateurs, jusqu’à devenir un véritable événement de société. Tout se passe donc pour le mieux et ils tiennent enfin leur revanche sur la vie. Mais soudain au milieu du roman, ça part en cacahuète : on ne suit plus les quatre scénaristes dans leur parcours professionnel et personnel et l’écriture de la « Saga », mais on se retrouve seul avec le narrateur Marco en proie aux conséquences inattendues de leur succès : secte fanatique, déchaînement de la presse, management de princes et princesses, intervention de Sylvester Stalone – ou presque, et même rendez-vous avec des agents secrets de l’ONU.

Au début j’étais dubitative, presque déçue du tour que prenait l’histoire et puis j’ai réfléchi et je me suis dis que c’était finalement peut être une mise en application par l’auteur de la liberté qu’il a donné à ses personnages. Après tout, lui aussi a le droit de « faire n’importe quoi », sans être entravé par la morale, la bienséance où les attentes de ses lecteurs.

Bref, plutôt d’être déçue que mes attentes de lectrice ne soient pas comblée, je me réjouis d’avoir été bousculée dans mon confort de lecture. Un excellent moment littéraire que je vous recommande chaudement !

 

Extraits choisis :

La télé, c’était ma baby-sitter, c’était mes mercredis après-midi, c’était la découverte du monde en marche sous mes petits yeux ébahis. La télé, c’était le copain avec qui on ne s’engueule jamais, celui qui aura toujours une bonne idée en tête du matin au soir. la télé c’était une pleine brassée de héros qui m’ont appris l’exaltation. Les premiers émois, mais aussi les premiers dégoûts. J’ai été ce môme qui devient brutalement un adulte le temps de changer de chaîne. (…) J’ai fini par dire qu’au nom de tout ça, si une chance m’était donnée de passer de l’autre côté de la mire, je ferais tout pour ne pas trahir le gosse livré à lui-même devant l’écran bleuté.  (p.45)

Je ne sais plus trop qui a fait quoi dans le n°31. Personne ne l’a vraiment relu, il est parti tel quel, avec nos doutes et nos folies. Nous avons abandonné toute idée de cohérence, la vraisemblance des situations n’est plus qu’un vague souvenir, le n’importe-quoi règne en maître. (…) Je ne suis pas le seul à faire des dérapages absurdes; dans le n°29, Jérôme a fait ressurgir Étienne, un drôle de bonhomme que Louis avait liquidé dans le n°14. En dernière minute, ils ont essayé de bricoler une incompréhensible histoire qui tient à la fois de la métempsycose et de la maladie malade. (…) Jérôme nous a casé une intrigue internationale avec tueur, trust, et prise d’otage, tout ça sans sortir d’un vestibule. Pendant que Mathilde se propose de combler le déficit de la Sécurité sociale en instaurant un impôt sur l’amour (la scène existe, je l’ai lue).
Pour l’instant, la police ne nous a pas encore repérés. (p.139-140)

Face à l’homme de la rue, ma faculté d’anticiper sur les situations ne me sert plus à rien. Les amateurs n’en font qu’à leur tête, ils improvisent et plus rien ne correspond à l’histoire qu’on avait imaginée. Il faudrait pouvoir écrire sa vie, scène après scène, et s’en tenir au script. (p.340)

Je m’imagine passer le reste de ma vie dans ce bar à boire de la vodka et écouter du saxo, seul, hormis la silhouette fantomatique du barman qui disparaît dans une arrière salle. Voilà peut-être le secret du bonheur, ne plus penser qu’à l’instant présent, comme s’il s’agissait d’un extrait de film dont on ne connaît ni le début ni la fin. (p.359)